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dossier presse miro-1

 

EXPOSITION DU 16 MARS AU 31 JUILLET 2011


EXISTENCES ET ABSTRACTIONS


L’extrême force de l’oeuvre de Joan Miró tient dans sa légèreté. Avec elle il est capable de changer les fonctions des objets, de mélanger les règnes, d’extraire une énergie nouvelle de la destruction des règles, en un mot d’attaquer, à travers les formes, la langue qu’il trouve usée, pour créer des bribes de langages inouïs.


Dans ses sculptures la réalité dérange. Elle dit oui et non en même temps, elle assemble ou inverse des réalités incompatibles, l’en bas devient le haut, l’exhibé le caché, le derrière le devant et le bronze une feuille légère. La réalité légale se trouve, se déchire, s’étiole, pour se transformer en un réel vivant, dansant, qui vole, s’attrape ou s’échappe.

 

Ce mouvement prend parfois l’allure d’un glissement d’une forme à l’autre ("L’Horloge du vent", 1967) ou au contraire d’une précipitation en une masse dense et concrète ("Tête" 1953). Miró se permet de nous faire douter de tout ce que nous voyons pour nous ouvrir non pas à des formes abstraites mais à une abstraction active qui recompose un monde d’où peut naître : une femme, une nuit, un personnage, un oiseau qui, à chaque fois, se créent, se défont et se façonnent, modelés par l’inconscient.

 

A observer ce peuple de sculptures, de petites dimensions, nous voyons se composer, devant nous, les personnages d’un théâtre et le théâtre lui-même, par exemple, dans "Monument dressé en plein océan à la gloire du vent" (1969) ou "Personnage et oiseau" (1970). Dans l’une et l’autre, la scène est verticale et les êtres semblent se parler, par delà le bronze qui les fige, le geste qui les fait exister et le vide qu’ils animent.

 

Ces scènes ont un lieu, un site qui est la sculpture même. Elles sont souvent construites par une grande liberté d’architecture. Si elles sont en bronze, celui-ci n’est que le dernier état d’une action d’assemblage, de collage, de prélèvement d’objets ou de matériaux pauvres : carton, plaque de fer, outils volés, moulés, coulés, dans la recherche des paradoxes associant le déconsidéré, le rejeté à ce qui est magnifié, construit pour traverser le temps. Annonçant Jasper Johns, Miró nous fait éprouver cette émotion de l’abandonné, du mort, ramené à la vie, brutalement, et conservant, en une substance inaltérable, les traces natives de cette brutalité. Ce dérèglement des sens empêche toute dérive vers le symbolique. Elle nous ramène, concrètement, au littéral de la pensée, du rêve incarné en une matière familière, extrêmement présente et cependant, perpétuellement travaillé par le ressac de l’imaginaire, ses phrases, leur désir, leur élan ("Bas-relief au parapluie", 1971).


Si en se servant de la méthode du collage Joan Miró revendique pleinement sa qualité d’artiste du XXe siècle, en utilisant cette esthétique, dont il est un utilisateur souverain, il l’inclut, également, en un héritage plus ancien, une histoire des styles plus durable en l’intégrant comme une technique tout aussi brillante qu’un modelé dans la pâte brute ("Tête et dos d’une poupée", 1967). Il dote, ainsi, son geste d’un naturel vital, d’une intensité crue et spontanée lui permettant d’aborder, d’une manière inédite, des accessoires de poésie classique. Je pense aux figures de femmes, d’oiseaux, aux bruits, parfois réunis. A la manière de la poésie de Jean-Philippe Salabreuil, selon Claude Michel Cluny, il se sert de toute la quincaillerie de la poésie pour la renouveler de fond en comble. Dans ses mains, il ne reste plus rien de subalterne, d’ancillaire, plus rien que le surgissement dérangeant de beautés polymorphes.


 


 

Souvent revient le thème d’une femme, d’une femme et d’un oiseau. Si elle porte le dessin de son corps, l’évocation de son sexe ou de sa nature génitrice, comme dans la sculpture classique, grâce à la liberté des associations mentales, à celle du collage, elle porte, également, en elle, la forme de l’altérité, la forme phallique un désir masculin incorporé dans son identité propre ("Tête de femme et oiseau", 1972). A la manière de l’oeuvre d’art, selon Marcel Duchamp, la femme de Miró ne se crée pas elle-même, elle n’est pas une essence, elle est aussi créée par le regard, le désir du sculpteur ou de l’amant. Le réel qu’elle présente est fait, à la fois, d’elle-même et du corps de l’autre qui l’accompagne ou la traverse. Il s’agit, alors, d’un corps double qui porte ses propres attributs comme ceux dont elle s’empare, grâce à sa beauté. Ces personnages de femmes recèlent, souvent, un oeuf signe de fécondité, mais aussi des formes en érection, en vol. Elles sont douces, ou agressives. Formes de chaussures dressées, cornes, mais aussi vases, cercles, ces sculptures sont des totalités, semblables aux êtres hybrides de Louise Bourgeois. Le sujet ne se satisfait plus de sa seule définition objective, il devient un réel en relation, un réel contradictoire animé par les projections qui le métamorphosent. Ces projections ont un espace, dont la qualité cosmique nous est signalée par un dessin d’étoiles à même la surface des sculptures ou par la courbe d’un croissant de lune ou encore par ce mot répété: "Nuit" ("Femme dans la nuit"-1967, "Tête dans la nuit"-1968, "Personnage dans la nuit"-1972).


Ces sculptures de Miró sont des blocs de nuit, des îles ou des vaisseaux minuscules qui emmènent, en un même mouvement, les dessins, les corps, l’épaisseur nocturne et les constellations. Ils appartiennent à une mer, un lac, une étendue qui se fixent, d’abord, puis se déplacent devant nous, semblables peut-être à ce poème :


Encore et encore
la lumière se change en nuit
et, l’eau,
par la lumière
en chaleur
qui s’élève
pour faire bouger l’air
et m’empêcher de voir ce que je vois
pour mieux la voir
Elle.
Elle qui ouvre et ferme les yeux,
qui apparaît et disparaît au gré
qui boit et coule comme une source qui
verse à l’intérieur, par les yeux
toutes les chaleurs
et toutes les eaux du rêve.
Elle qui, dans la boîte du crâne,
danse et change
avec la forme, jamais sûre, jamais vue
ici et là, ceci-cela
qui se métamorphose en quoi ?
et vice-versa

 

Les sculptures de Miró habitent l’espace et l’espace se retrouve, en elles. Elles nous surprennent, viennent et s’absentent, comme les esprits des sculptures africaines. Elles sont prises par les flux et les reflux qui les font apparaître en proie à une métamorphose spirituelle. Miró, avec humour joue avec les règnes. Le corps humain, personnage principal, devient parfois chien ou encore oiseau ou prend la forme d’un animal sauvage ("Femme chien" - 1970, "Femme" - 1968, "Femme" - 1967). Il arrive à ce corps de perdre son identité. Il se change en végétation, en plante sous-marine, fin comme une tige ou bourgeonnant de mousse. Très souvent il perd sa nature hostile pour aller vers le neutre des existences minérales, la masse paisible des rochers. Joan Miró va chercher la gravité, la stabilité et la terre en s’inspirant de la pesanteur des pierres dont il s’échappe par le surgissement d’un rythme, le déploiement d’une ligne dans l’air ou sur la peau du bronze.


Ces métamorphoses qualifient la durée et l’espace instables de l’oeuvre de Miró. Elles expriment la recherche d’une liberté totale pour le créateur : acteur critique, ironique de notre pensée et de ses confins. Pleins de verve, d’humour, ses sculptures-personnages participent aux jeux de rôles. Elles surgissent, nsidieuses, des forêts primitives, des caricatures-portraits, des monstres androïdes, des masques métaphysiques ou des existences microbiennes. Elles commencent un récit. Elles délaissent la patine convenue pour se recouvrir de couleur et devenir des mécaniques ubuesques et contemporaines ("Jeune fille s’évadant" - 1968).

 

Miró peuple le monde de ces créations qui composent un peuple bizarre fait d’autant d’ethnies, de tribus ou de meutes mentales. Entre elles, elles dansent cruellement ou amoureusement. Les deux "héros" de ce récit, dérisoires et passionnés qui semblent aux prises, à s’observer, à s’aimer, à se perdre, sont l’homme et la femme (Homme et Femme - 1972). Ils résument le débat crucial et créateur qui, traversant toute l’oeuvre de Miró, vit, se déploie, entre les masses mouvantes, les surfaces, les étendues, les lignes, les rythmes, l’intensité du vide. Ce théâtre ne se comprend pas par les images mais par les abstractions qui le mettent à mal, l’animent et le modèlent. Elles rappellent que la vie est un champ troublé de sculpture, "sculpture vivante" dira-t-on bien plus tard.


Texte de Olivier Kaeppelin publié dans le catalogue de l’exposition

 

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MUSÉE MAILLOL - FONDATION DINA VIERNY
59-61, rue de Grenelle
75007 Paris
01 42 22 59 58
www.museemaillol.com

 

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